Comment passer en mode transfert, c’est le sujet de notre journée.
C’est Martine Lerude dans son article « En mode transfert ? » dans le livre dirigée par JP Lebrun, qui pose la question à partir du dire de son patient : « je suis en mode souffrance et je voudrais être en mode travail, puis , regardant son téléphone , il ajoute : et pour lui ce sera le mode silencieux. » C’est à partir de ce « en mode », répété trois fois que son patient s’approprie ce trait d’humour. Martine Lerude nous dit : « par ce mot d’esprit soudain, reçu comme tel par l’analyste, notre patient n’est plus étranger à son propos et il est là, pour de bon, engagé dans l’équivocité de sa parole ». Elle pose la question : « Est-il passé en mode transfert ? Et, si oui, à quelles conditions ? ».
C’est de ces conditions nécessaires au transfert dont un certain nombre d’entre nous ont rendu compte au cours de notre journée de l’AMCPSY. Déjà, notre présence témoignait que nous sommes en mode transfert, mais comment rendons-nous possible un transfert aux personnes que nous rencontrons en institution, que ce soit les professionnels qui y travaillent ou les personnes qui sont adressées à ces institutions ?. Le contexte actuel dans lequel nous vivons, aimons, travaillons, est un contexte, je dirais, de non-combattants. Nous sommes préservés des microbes, des additifs, du vélo ou du ski sans casque, de la voiture sans siège bébé, enfin la sécurité est devenu l’argument irréfutable permettant de nous contraindre à toujours plus de normes, d’obligations et d’interdictions diverses, et de nous forcer à acquérir toutes sortes de gadgets. Malgré la législation et les recommandations, les accidents font toujours les faits divers. C’est à ces non-combattants que nous avons à faire en institution, comme dans la vie et nous en faisons partie, bien sûr. Angéla Ferreto, notre présidente, nous parlait à notre journée précédente de sa manière d’y aller comme analyste, c’est toujours le cas : « il faut y aller ». Ca veut dire se rappeler que le transfert est du côté de l’analyste, c’est nous qui avons à permettre un transfert en nous adressant à l’autre en tant que sujet. En nous adressant à l’autre, en reprenant les signifiants qu’il nous propose, en nous y intéressant, en y portant attention, même s’ils nous étonnent, même s’ils changent nos habitudes. Ces signifiants de l’autre, nous avons à les porter dans notre énonciation pour que l’autre qui nous les livre comme des énoncés, du lieu de notre énonciation, puisse lui aussi en faire le récit et faire entendre par ce récit qu’il nous adresse, son énonciation jusque là endormie ; peut-être dans certains cas impossible. S’ils ne parlent pas, s’ils n’ont pas de demande, comme on l’entend souvent, pour le savoir, il y a d’abord à consentir nous-mêmes, à supporter d’être une adresse pour l’autre qui peut-être n’en a jamais eu. Voilà ce que je voulais rappeler : c’est que le transfert est de notre côté et que nous avons à parler avant d’envoyer les personnes que nous rencontrons parler ailleurs, parler à quelqu’un comme on dit. Car ce n’est pas la même chose de donner une adresse à quelqu’un qui est en transfert avec nous en institution, que de lui donner une adresse parce que on n’a rien à lui dire.
Claire FELTIN
Argument de la journée du 14/09/2013
Chers collègues,
Le samedi 14 septembre 2013 a eu lieu à l’ALI à Paris, de 10 heures à 16 heures, notre journée de l’AMCPSY en collaboration avec le Département du travail social de l’ALI, avec pour thème « le transfert en institution ».
Il y a actuellement, dans les institutions, une méfiance à l’égard du transfert, méfiance qui concerne tout ce qui pourrait rendre compte d’une subjectivation qui viendrait déranger la norme supposée qui vise avant tout l’efficace.
Nous avons alors affaire au paradoxe suivant : alors même qu’une institution va donner à un directeur, au personnel éducatif, au médecin, à l’analyste, au psychologue des responsabilités concernant la prise en charge d’enfants, d’adolescents et d’adultes dans le cadre de différentes mesures éducatives ou demandes de soins, responsabilités de plus en plus lourdes puisqu’on sait que maintenant les institutions hébergent « la folie » de manière importante, ces responsabilités vont être mises à mal, rognées par une réduction de la fonction des personnels, invités à n’exercer plus qu’en tant que prestataires de service.
De la même manière, le choix d’un psychanalyste pour une intervention suivie dans le temps comme une analyse de pratique ou une supervision se fera selon la « loi du marché » : les autorités de tutelle ou administratives vont souhaiter voir défiler des psychanalystes contrecarrant le choix et la nomination d’un analyste par le directeur de l’établissement ou par l’équipe déjà engagés avec lui dans un transfert ; là, ce sont plusieurs psychanalystes qui sont invités à se présenter pour offrir leurs services. La demande initiale est non seulement inversée mais est devenue incongrue : s’il ne convient pas, on en changera….les demandeurs sont nombreux.
Autre exemple: il va être demandé dorénavant aux professionnels de la santé ou de l’éducatif de rencontrer » à deux », pour que rien n’échappe de ce qui se dit. Il s’agira aussi bien d’aller voir des gens à domicile de manière systématique. Comment peut-on inscrire un transfert lorsque la demande est de tout voir, tout entendre ?
Pour orienter notre journée où nous parlerons de cette première institution qu’est le transfert, je vous rappelle des textes que vous pouvez lire sur le site de l’AMCPSY :
celui de Pascale Belot-Fourcade, qui nous disait en 2009: « De l’institution nous en avons une, nous parlêtres et plus précisément, pour ceux qui sont dans le » souci de l’autre », qui se soutiennent de la relation dans leur action, Freud l’a nommé, cette institution: elle s’appelle le transfert, c’est-à-dire, institué et instituant, ce qui fonde la dynamique de la relation. Le transfert s’institue d’une demande faite à quelqu’un pouvant répondre en tenant compte de l’épaisseur de la dimension intersubjective, c’est-à-dire en tenant compte de l’au-delà de la demande telle qu’elle est formulée. »
(Le praticable de la clinique dans le travail social: libertés et astreintes)
Celui de Louis Sciara en 2013, dans une intervention à l’Ecole de Bretagne, qui nous rappelait que « le lien social s’établit dans les relations qui se tissent d’abord et avant tout au sein de l’institution familiale et c’est ce qui se joue et se rejoue dans l’amour de transfert qui dévoile la structure singulière d’un sujet. C’est pourquoi, c’est bel et bien le transfert qui est le moteur de toute institution, de tout rapport à l’autre et, par-delà la relation spéculaire, à l’Autre. Cette dimension du transfert circule dans l’entrecroisement entre symptômes de l’institution, du praticien et de chaque patient concerné ».
Mais alors pourquoi cette méfiance à l’égard du transfert ? Sans doute parce que la famille est de moins en moins une institution où se met en place le transfert, ce qui permettait jusqu’alors aux enfants de s’intégrer dans les institutions sociales. En conséquence, nous avons à en prendre la mesure dans notre travail. Si la famille n’est plus tout à fait une institution, nous avons à partir de là pour tenter de réfléchir aux conditions de la mise en place d’une relation transférentielle.
Des praticiens qui travaillent dans différentes fonctions dans les institutions nous diront comment ils permettent à des enfants, des adolescents, des adultes de faire confiance à quelqu’un pour parler dans le contexte social ambiant.
Claire Feltin
Journée AMCPSY « Le tranfert dans l’institution » du 14 septembre 2013
Troisième réunion (trois : ça compte donc !) qui témoigne de notre travail dans une ligne de transfert à Charles Melman lecteur de Lacan. Là se place la responsabilité de l’ALI et de l’AMCPSY d’être analystes dans la cité. Analystes en sur régime ou sous régime, c’est une boutade dont j’ai fait titre à propos du régime transférentiel qu’impose l’anorexique. L’analyste serait-il aujourd’hui dans cette tonalité ? Sur régime : face au désarroi, aux déliaisons que nous rencontrons chez des sujets pris aujourd’hui dans le symptôme social. Sous régime dans le traitement de marché auquel le psychanalyste est soumis, comme tous, à parité bientôt. Il va surement en être questions dans notre journée ; il faut donc peut-être nous préparer à intervenir sans trop répéter, à sortir des chemins balisés de nos certitudes.
Je vais être très brève aujourd’hui, n’ayant pas trop de choses à reprendre par rapport à l’introduction que j’ai faite en Novembre 2011. Simplement, je souhaite redonner du poids à ces questions déjà évoquées : Comment être analyste et le rester? Comment avancer dans le social une pratique qui tienne compte de cette fichue institution du parlêtre ? Le transfert, en sachant qu’il n’y a pas de politique tenable à l’égard du social ; il n’y a en effet pas de politique de l’analyse dans quelque champ qui soit, ni non plus de collectivisation du transfert ou des transferts. Aujourd’hui, je voudrais toutefois revenir et apporter des précisions sur deux points qui sont inscrits dans notre titre, car nous pourrions être entrainés dans des affirmations d’évidences qui pourraient nous égarer : le transfert dans l’institution d’une part et l’institution du parlêtre d’autre part. Bien sûr, sans l’exercice de la parole, il n’y aurait pas de transfert possible, mais évitons de faire une loco-régionalisation du transfert : celui du divan et le transfert dans l’institution sociale. Le divan est infecté du social et le social par l’inconscient : même bande ! C’est vite dit ainsi mais c’est parlant. Alors, le transfert est un lien affectif qui convoque Eros, lien fou et précaire (c’est pas du BTP ! ) position clandestine nous dit aussi Lacan. Il n’y a pour le bonheur rien de préparé comme le disait Freud, dans le macrocosme et dans le microcosme et l’analyste ne saurait se situer dans le souverain Bien ! D’où un paradoxe dont vont nous parler aujourd’hui deux intervenants : la reconnaissance d’utilité publique de notre institution et sa rencontre avec l’ARS. Notre charge en tant qu’analystes réside dans notre écoute : là est notre responsabilité. Ecouter la question de ceux qui s’adressent à nous au-delà du symptôme, assurer cela dans une présence qui est une position de semblant, c’est notre voie pour faire entendre la dimension de la parole et du langage dans l’action des intervenants éducateurs et sociaux, car ils ne sont pas épargnés par le transfert dont ils font parfois douloureusement l’épreuve ; transfert positif, transferts négatifs souvent, ne l’oublions pas, ne le dénions pas. La générosité de leur vocation ne les met justement pas à l’abri de la violence transférentielle, dans le dictat aujourd’hui du tout social. Lacan nous rappelait dans son séminaire « Le transfert » que Socrate avait choisi de servir Eros pour s’en servir ; Rien n’a changé ! Alors « transfert pour tous ! », voilà peut-être la véritable égalité ; les interventions dans l’institution sont de l’ordre du transfert et du contre transfert, ce que Lacan assimile. Voilà la vérité qui peut se transmettre dans une disparité des places.
Pascale BELOT-FOURCADE
L’Analyse des pratiques professionnelles : Transferts et lecture sous conditions ?
Mon propos s’appuie sur des expériences de travail avec des équipes de travailleurs sociaux qui accueillent des mineurs délinquants dans le cadre de mesures de placement et des fils que j’ai suivis pour l’inscrire dans un trajet spécifique à chaque équipe. J’interviens pour ce que l’on appelle « l’analyse des pratiques professionnelles » à un rythme mensuel. C’est l’une des modalités d’interventions dans le social qui implique d’avoir à se déplacer dans les structures. Les difficultés auxquelles j’ai été confrontées pour donner une direction à ma praxis m’ont conduit à m’interroger plus particulièrement sur la question du transfert dans les institutions. Quelles demandes sont adressées au psychanalyste et à quoi répond-il quand il accepte d’intervenir dans le champ social ? Comment permettre qu’un transfert se mette en place et de quelle façon opérer pour que des professionnels puissent à leur tour soutenir des transferts et engager leur subjectivité dans leur travail avec les jeunes qu’ils accueillent ? Comment pouvons-nous les aider à lire ce dont ils sont l’objet et les amener à inventer des façons de faire avec, et de créer un savoir y faire qui tiendrait compte de leurs places et de leurs disparités ? Quelles sont les conditions s’il en existe pour qu’un transfert s’opère et devienne opérant ? Ces questions n’amènent aucunement des réponses univoques car il me semble avec l’expérience de ce travail qu’il s’effectue selon des modalités particulières qui dépendent des caractéristiques propres aux institutions dans lesquelles nous intervenons, aux publics accueillis et à la consistance des professionnels engagés dans cette aventure. Néanmoins, je vais essayer de dégager quelques traits de ce travail et d’en souligner quelques effets. Avant de rentrer dans le vif du sujet et puisque c’est l’un des arguments de notre journée, je vais vous dire de quelle manière je suis arrivée dans ces lieux institutionnels. Ce sont via des rencontres, des transferts de travail qui se sont tissés dans le temps au travers d’échanges, de discussions, de certaines hypothèses ébauchées. En un mot, ce sont mes questions qui ont servi me semble-t-il de point d’accroche et qui ont eu comme effet « de faire émerger » une demande. C’est un premier point qui me semble important car, devant l’affluence de psys armés de formations séduisantes, comment nous – débrouillons nous pour continuer à transmettre dans le social ce qui nous a été transmis en restant fidèle au discours analytique ? C’est peut-être une des premières conditions pour qu’un transfert opère est de s’y coller, d’y aller (dans le champ du social) et, comme nous l’a joliment formulé Angela JESUITO, «d’y aller comme analyste », proposition que j’ai entendue dans le sens de « créer une ouverture ». La solitude inhérente à notre travail nous oblige à nous engager à partir de nos seules marques singulières et l’importance d’échanger avec des collègues est aussi une façon de se référer au discours analytique et d’avoir un lieu d’appui d’où soutenir mon transfert et mon travail. C’est aussi une condition nécessaire, me semble-t-il, pour se prêter à d’autres transferts et notamment dans les institutions. Quand j’ai commencé à intervenir dans ces lieux institutionnels, certaines équipes traversaient un grand moment de crise avec, comme effet, des conflits institutionnels, des discours qui s’annulaient les uns des autres et une mise hors cité de la parole. Les tensions institutionnelles verrouillaient la parole et donnaient lieu à des conflits de personnes, les travailleurs sociaux se retrouvaient sans boussole pour travailler. Des exclusions récentes de certains jeunes divisaient les équipes et entrainaient des réactions très vives entres les professionnels. Je me suis demandée à l’époque comment intervenir dans ce flots de paroles et permettre à ces professionnels de faire un pas de coté . Les demandes qui m’ont été faites par les dirigeants de ces structures visaient à calmer « la crise » et de faire en sorte que les professionnels puissent remplir pleinement leurs missions à savoir « éduquer et insérer les mineurs délinquants». La place réservée à l’analyste était une place de savoir avec, comme effet attendu, un soulagement et une mise à l’écart des manifestations des accueillis. Les équipes semblaient débordées par les agissements des jeunes accueillis et en appelaient au cadre institutionnel pour contenir les débordements. La première question énoncée à ces travailleurs sociaux était déjà en lien avec le transfert. Je ne sais plus comment je leur ai formulé mais face à ce déversement de paroles sur l’institution ceci…la bonne distance cela…les outils éducatifs comme ci …Le trop affectif par la… Je leur ai demandé ce qu’était un mineur délinquant et, un peu plus tard, ce que cette délinquance pouvait avoir comme effet dans une institution et sur une équipe missionnée pour éduquer. Mon questionnement tendait à délier les langues sur les modalités transférentielles des jeunes accueillis dans l’institution. Il me semble que cela a été le point d’arrêt à une plainte partagée entre les membres des équipes et une ouverture pour un travail de lecture que je continue depuis avec elles. Ce n’est pas que les propos tenus par les travailleurs sociaux sur le fonctionnement institutionnel étaient irrecevables mais ils venaient à mon sens occulter ce qui ne pouvait être dit d’une position d’objet à laquelle ils étaient conviés via le transfert des jeunes sur leurs personnes et ils tendaient à rabattre leurs embarras sur des éléments discursifs totalisants et unifiants autour de questions institutionnelles. Il s’agit, dans un premier temps, de laisser les équipes dérouler leur discours et de partir de leurs embarras avec les jeunes et avec l’arbitraire institutionnel. Dans les lieux dans lesquels j’interviens, les professionnels se prennent en pleine face les différents transferts dont ils sont l’objet et concernant la spécificité des jeunes qu’ils accueillent et leurs façon d’aborder l’Autre (à …border ) et les autres. J’avancerai que les manifestations des accueillis et leurs agissements plongent les membres de ces institutions dans un profond malaise « on ne sait plus quoi faire avec lui », que cette clinique de l’agir défait leurs repères habituels et que le lieu de « l’analyse des pratiques professionnelles » sert à arrimer ce qui se désarrime dans la rencontre « quand elle a lieu » avec ces délinquants. Si l’on suit ce que nous dit C MELMAN à propos de la délinquance : « l’accès à l’objet dans la délinquance est organisé non par le symbole (…) mais par la saisie, le rapt ,le viol (…) puisque c’est dans ce cas, la seule façon d’avoir rapport au phallus quand on veut se maintenir dans la virilité, c’est-à-dire pour le détenir, en avoir une part (…), puisque le propre du délinquant c’est que lui , (…) il agit, Il ne s’arrête pas devant ce qui fait obstacle (…) il est pour l’effraction ». Nous sommes d’emblée sensibilisés à ce à quoi sont confrontés les travailleurs sociaux dans leur travail avec ces jeunes au quotidien (rapt, effraction, pas de point d’arrêt qui tienne …) et pour peu que les membres d’une institution consentent à devenir un lieu pour ces accueillis, ce sont eux qui sont quelquefois volés, « intrusés » bref rabattus au rang d’objet . L’agir de ces jeunes (puisqu’ils agissent ) laissent souvent les professionnels « sans voix » et viennent amputer voire littéralement annuler leurs possibilités d’articuler des hypothèses et de penser. Ce n’est pas que ces éducateurs seraient moins pensants que d’autres mais les modes d’appels et d’ adresses qui leur sont faites témoignent de modalités particulières qui rendent les mots manquants dans les deux camps. De ce fait, un des moyens de tenir pour les éducateurs est de se tourner vers l’institution pour demander des recettes ou des solutions prêtes a l’emploi. Ceci a comme effet une annulation directe de l’adresse qui leur est faite par le/les jeunes et de se dessaisir directement du transfert à leur endroit. Un autre moyen est d’entrer dans une complicité avec les jeunes et de récuser avec eux le tiers en se mettant à fonctionner en roue libre hors du champ institutionnel. Ceci sous d’autres modalités mais c’est une des dérives qui peut s’observer dans les lieux qui accueillent la délinquance … La délinquance de l’un invitant l’autre privé de levier pour résister, à « délinquer » … . Là où je veux en venir, c’est qu’au fond pour amener des travailleurs sociaux à soutenir des transferts, il s’agit à mon sens d’entendre aussi là où ils en sont dans leur rapport à l’institution et de les suivre pas à pas en leur proposant une lecture des transferts dont ils sont dépositaires et d’en souligner les effets sur l’institution. Et y aller comme analyste, c’est à mon sens ouvrir un lieu qui permette à chacun de faire un pas de coté en s’appuyant sur une lecture faite sous forme d’hypothèses qui serve de fil conducteur à la praxis. Je reprendrai volontiers à mon compte les propos de J-M FORGET(2) quand il nous dit que « le psychanalyste cherche(…) à partir de l’autorité que lui confère la prise en compte du réel qui se manifeste dans les troubles, à proposer (…) un S2, qui porte sur les positions symboliques de chacun (…) il propose l’hypothèse d’un savoir S2 à l’égard duquel chacun puisse exercer sa propre subjectivité ». Donc autres conditions : suivre et lire encore … Comme je l’ai mentionné au début de mon propos, le travail de l’analyste est « sous tendu » par les caractéristiques des équipes dans lesquels il intervient. Une des particularités concernant « l’analyse des pratiques professionnelles » se situe dans le fait d’intervenir dans des groupes de professionnels constitués réunis autour d’un projet institutionnel et d’un trait positivé (éduquer, insérer …). A propos de la logique de tels groupes, J-M FORGET nous dit : « Si nous suivons ce que nous suggère la conséquence de la logique des groupes, nous pouvons craindre que le rassemblement des membres d’une institution autour d’un projet commun, comme trait positivé, ait comme effet d’éluder entre eux le vecteur de la différence et d’exclure subrepticement la subjectivité de ceux-ci (…) il reste que la logique du groupe, si elle s’exerce, exclut la dimension de la subjectivité du lieu de l’institution. L’unité plénière de l’institution exclut l’unité de la subjectivité. (3) L’incidence de cette logique, si elle s’exerce dans un groupe, se mesure à la tonalité des discours produits par les membres de ces institutions et aux réponses institutionnelles tenues face aux manifestations des usagers. Peut-être qu’une condition pour que le travail opère consiste à « démembrer » les membres d’une institution pour passer du Un unifiant au UN , un , un … et qu’au trait positivé excluant la subjectivité s’ouvre la place du manque. Les professionnels mettent alors en commun leur manque ce qui donne une autre consistance au groupe qu’il forme. Pouvons-nous avancer que les questions et les hypothèses de l’analyste durant ces séances de travail creusent une place au manque, « un lieu vide » et que c’est de ce lieu qu’il opère. Je suis toujours surprise de l’effet produit par une simple question et une hypothèse sur les dires des éducateurs, qu’un « je ne sais plus quoi faire avec ce jeune » se déplace en un « peut être qu’il fait ça pour … ». Pour autant qu’aucun Savoir plein n’ait été prononcé juste quelques relances à des questions en mal d’articulation. Il s’avère pour ce faire que l’analyste ne peut s’en tenir aux seuls désordres institutionnels et sa visée ne réside pas à mon sens dans leur traitement néanmoins il peut les entendre comme des symptômes et comme l’unique voix de professionnels qui cherchent chacun leur assise . Les questions de l’analyste, ses curiosités sur tels ou tel jeune , son écoute des signifiants , le décale d’une position de maitre , de savoir prêt à porter et déplace le savoir du côté du sujet . Pour autant et c’est à mon sens un autre point délicat nous intervenons auprès de plusieurs sujets réunit sous le terme d’équipe. Exclure cette particularité et ne faire que de l’individuel serait périlleux. S’il n’est pas question de traiter le collectif durant les séances d’analyse des pratiques professionnelles nous sommes face à des sujets qui ont à travailler ensemble , à s’y coller aussi, en tenant compte s’ils y consente à leurs disparités de places dans l’institution . Je rejoins les propos de Melman quand il nous dit : « pour vivre ensemble, il faut que chacun des membres de la collectivité constitue une individualité qui se réfère à une instance commune (…) ce qui forme cette collectivité c’est la référence à « l’au moins un », à cet idéal , à cet ancêtre supposé donner le modèle à l’individualité (…) .(4) C’est ici que les hypothèses de l’analyste tiennent leur place , que son questionnement et quelquefois ses remarques prudentes peuvent servir de relances et permettre à plusieurs sujets d’une équipe de construire leurs hypothèses et le fil de leur travail avec tel ou tel jeune en respectant ce qu’ils incarnent chacun pour lui . Les jeunes viennent souvent remettre en route leurs « fonctionnements » avec différents professionnels et ce dans des mouvements déliés et sans lien entres eux . Le lieu de l’analyse des pratiques professionnelles est aussi un espace ou les éducateurs en parlant des échanges qu’il ont, chacun, avec un jeune nouent ou renouent autrement ce que le jeune ne peut nouer seul . Pour conclure , nous pouvons souligner quelques points que j’ai tenté de dérouler dans ce propos : Le travail de l’analyste est guidé par le crédit qu’il fait à chaque sujet d’une institution d’etre en mesure d’inventer une reponse à donner à l’adresse qui lui est portée . C’est une position exigeante qui implique de se déprendre de l’imaginaire auquel il est convié et qui ne tient qu’a un fil, celui de la parole. La mise en place d’un travail de lecture qui serve de point d’appui et de référence nécessite des conditions rigoureuses et des tours préalables . IL produit un deliage des langues (içi pour les professionnels ) et d’un nouage ou renouage qui tienne compte d’une lecture clinique rigoureuse ,d’une prise en compte du réel , d’un point d’impossible auquel chacun a à consentir et qui serve de boussole à la praxis . De surcroît et sans les avoir traiter directement les tensions institutionnelles s’apaisent notamment lorsqu’elles sont le fruit de divergences idéologiques voir de dérives de tous ordres par des professionnels déconnectés et livrés à leurs seules pensées alors qu’il s’agit bien au contraire de travailler ensemble en respectant les différences de places. Il s’agit à mon sens d’être à l’écoute des mouvements et des exigences institutionnelles qui ont un effet sur la pratique des travailleurs sociaux , sur leur façon de prendre ou non la parole et de se forger une place d’où parler. Sans pour autant vouloir les traiter, néanmoins il me semble nécessaire de les accueillir et d’en souligner les effets. C’est, aussi à ce titre, que l’analyste tient compte des différents transferts dont il est chargés et avec lesquels il a à inventer sa pratique. Pour rappel, si les institutions sont parfois une chance pour un jeune d’accrocher et de rejouer ses marques inconscientes sur une nouvelle scène avec de nouveaux interlocuteurs, c’est pour lui une possibilité d’y inscrire son fonctionnement, d’en ébaucher un début de lecture et peut être de consentir à faire un pas de coté .
Références : Aurore HOANG-DI RUZZA I (1) Charles MELMAN, Une enquete chez Lacan, La Délinquance p. 185 (2) (3) Jean-Marie FORGET, L’adolescent face à ses actes … et aux autres p. 162 et p.178 (3) Charles MELMAN, Entretiens à BOGOTA , p. 104