Nicole Anquetil
Il nous est apparu important de présenter ce jour cette grande question des psychoses à laquelle sont confrontées toutes les personnes ayant affaire professionnellement, disons de façon très large, aux embarras des autres.
Ces embarras qui se découvrent en sus des raisons sociales proprement dites mais qui y sont mêlées car ces autres psychotiques sont à la fois et le miroir de ce qu’on appelle le social et ce qui s’exclut du social en quelque sorte par définition.
Cela peut sembler paradoxale et pourtant c’est bien ainsi qu’il nous faut aborder la question, du moins à mon sens, si l’on veut tant soit peut éclairer cet aspect du rapport à l’autre.
Ce rapport à l’Autre et à l’autre est bien là au coeur de la psychose et il nous faut bien en tracer les contours si on veut y entendre quelque chose.
Vous remarquerez que j’ai dit entendre et non pas comprendre. Si on veut comprendre nous n’y arriverons pas car avec notre intellect, avec la structure mentale de névrosés moyens que nous avons tous, nous ne pouvons en aucun cas nous servir de nos outils, disons psychologiques, communément admis dans notre discours, pour dégager ce qu’il en est de ce rapport à l’autre. La psychose est incompréhensible.
Elle est incompréhensible car elle suit une logique qui n’est pas celle qui nous mène dans nos échanges de paroles. Et pourtant c’est une logique qui tient tout autant au langage.
Communément nous savons que si nous arrivons à nous entendre c’est par la discussion, nous avançons en faisant acte de notre parole parce qu’en principe nous y sommes et que dans les postes de responsabilités qui sont les nôtres, même en avançant des notions qui ne sont pas appréhendées ni perçues de la même façon par tous du fait de la polysémie des mots que nous employons et de l’idéologie, au sens très large du terme, que nous y mettons, nous sommes soumis à des règles qui veulent que dans les propos que nous tenons, nous nous sentons partie prenante de nos énoncés car nous nous sentons sujet de notre énonciation et que en principe nous ne mettons pas sur le même plan le sujet et l’objet. Nous sommes toujours dans une dissymétrie des places. Le malentendu à l’oeuvre dans nos propos qui est l’essence même de ce qu’on appelle discussion et dialectique, réside dans le fait que le langage dont nous nous servons parce qu’il construit notre mental, n’est en rien un réel qui dirait la vérité sur lui-même. Il nous faut faire beaucoup de détours pour arriver à des décisions ou à des lignes de conduite qui soient au plus prés de nos objectifs car à tout ce que l’on peut avancer il y a une opposition possible car il y a structuralement une part d’ombre dans tous les énoncés que nous émettons. Le langage, la parole, à la fois nous engage et nous oppose à l’autre ; mais nous finissons toujours par adopter une position tenable quant à nos buts car nous acceptons la loi d’une institution et les règles d’une mission. Nous pouvons accepter ces lois car nous sommes soumis aux lois du langage qui veulent que les places de sujet et d’objet sont distinctes dans les énoncés et qui imposent que lorsque nous parlons nous acceptons un reste irréductible informulable, qui fait que la langue n’est ni une somme ni une totalité de concepts, de signifiants disons nous, qui viendrait à bout de toute signification. Le langage rend compte que nous sommes soumis à ces trois entités que sont l’imaginaire, le réel et le symbolique, et que ces trois entités sont nouées c’est ce qui nous organise et nous permet l’échange, la dialectique et la reconnaissance de nous-mêmes et des autres en tant que nous sommes des personnes ayant accepté la castration nécessaire à tout organisation sociale, celle qui régule la spécificité des rôles et la disparité des places.
Il en est tout autrement dans cette façon d’être que présente une personne psychosée du fait de son rapport au langage qui diffère de la façon commune.
Plusieurs lignes de force sont à l’oeuvre. Une personne psychosée n’est pas dans ce qu’elle énonce. Non seulement elle ne comprend pas ce qu’elle dit, ce qui arrive également à n’importe le quel d’entre nous mais en outre elle est dans l’impossibilité d’adhérer à un système, à des règles et fondamentalement à ce système qui nous structure et qui nous régule qu’est le système de la langue tel que nous venons de l’esquisser. Le psychotique parle une langue qu’il ne connaît avons-nous appris avec Lacan.
En quoi cela consiste-t-il ?
Cela consiste à ce que la personne psychosée se trouve dans l’incapacité de parler en son nom et même si elle emploie grammaticalement le Je dans ce qu’elle énonce quand elle parle, elle n’est pas le sujet de son discours mais l’objet d’un discours qu’elle appréhende comme extérieur à elle-même et auquel elle obéit. On parle de xénopathie, cela peut aller jusqu’aux hallucinations ou à l’automatisme mental. Là bien sur on est dans l’éclatement au grand jour de la pathologie de la structure.
Quand et comment cela se manifeste t-il ?
Cela se manifeste quand les exigences sociales poussent à des prises de responsabilités, des prises de paroles, des chemins à prendre. Dans ces moments, le sujet psychosé se sent l’objet de l’Autre, manipulé par l’Autre, de façon totalement incompréhensible aussi bien pour lui-même que pour un autre auquel il a à faire. Car cet autre lui apparaît non pas comme une abstraction symbolique, comme le représentant d’une loi, d’une organisation symbolique, acceptée, mais un autre réel qui n’est là que pour s’emparer de lui dans un registre primaire des relations à l’Autre qui font que l’autre n’est là que pour le dévorer ou le soumettre sexuellement, il se trouve donc en quelque sorte dans une capture imaginaire de lutte dont l’enjeu est : c’est lui ou moi. Cela peut alors se déployer dans la plus grande férocité. C’est ce qu’appelle la relation en miroir où n’existent plus ni la dissymétrie des places, ni la différence des rôles et des fonctions, où le langage échoue dans son pacte qu’il est censé instaurer.
Les exigences sociales où se révèlent cette façon d’être sont assez communes et les difficultés à y satisfaire peuvent être immédiatement décelables, mais aussi au contraire peuvent être masquées et faire illusion un certain temps. Il faut toujours un certain nombre d’éléments pour identifier le caractère pathologique du comportement et de la structure mentale psychotique.
Prenons pour exemple la scolarité, il est tout à fait repérable quand on relate le parcours d’un adulte que l’on soupçonne de psychose, de voir la butée majeure que représente ce qu’on appelle la substitution, la transposition, cette possibilité de remplacer une idée par une autre pour mieux identifier cerner, approfondir ce que nous souhaitons démontrer : le passage de la rédaction à la dissertation s’avère impossible. Le propre de ce qu’appelle la relation symbolique est la faculté justement de faire jouer le langage dans ce qu’il permet de transposer, de métaphoriser, d’envisager les situations ou les concepts dans différents registres, de les dialectiser.
Cette difficulté à métaphoriser, s’il est intéressant de la repérer dans le parcours scolaire peut éclater de façon majeur dans ces étapes fondamentales que sont les étapes sexuelles, dans l’assomption de la sexualité, ces moments où les questions être homme ou femme pour un autre s’impose non seulement par la maturation sexuelle biologique mais par l’idée que l’on en a, dans ce domaine plus que tout autre nous nous apercevons que ce qui conduit notre vie n’a rien d’instinctuel, là plus qu’ailleurs nous sommes obligés de nous référer à la place du sujet dans le discours.
La différence sexuelle, du fait que l’on parle ne relève pas de l’instinct nous guidant vers un objet mais d’un fantasme et d’une différenciation de l’être et de l’avoir au regard du phallus, l’objet suprême réglant le désir, si cette différenciation est en défaut le désir est tenu en échec comme ce qu’il en est de la dialectisation.
Ne pas pouvoir dialectiser est prendre le langage comme un objet produisant des objets à l’infini et qui en fait sont la reduplication d’un même objet qu’un sujet psychotique n’arrive pas à cerner pour le transformer et l’utiliser faute de se différencier lui-même de cet objet . L’objet là, avançons rapidement, fondamental est la mère dont il est et le prolongement quasiment physique, l’unique objet d’amour, ce qui vient combler son manque, et dont il est l’objet total, le phallus avec exclusion de celui qui est censé l’avoir , le phallus, à savoir le père. Celui censé en être le représentant, être le support du phallus car il en a les attributs, il peut d’ailleurs supporter très difficilement cela, mais le propos du jour n’est pas de nous attarder là-dessus. Le propos du jour est de faire entendre que la butée de la dialectisation c’est ce que nous appelons dans ce que Lacan nous a enseigné l’impossibilité de la métaphore paternelle qui exige pour rentrer dans l’univers de l’adulte, pour abandonner le monde de l’enfance, la substitution des désirs de la mère vers ceux de la sociabilisation, de la reconnaissance du phallus dans la répartition de l’être et l’avoir qui nous constitue en tant qu’homme ou femme dans la reconnaissance d’une fonction, c’est de propre de la fonction paternelle comme nous le disons dans notre jargon que d’assurer pour la fille comme pour le garçon la possibilité de l’assomption sexuelle. C’est pour cela que chez le psychosé on voit éclater au grand jour la structure aux différentes étapes de la vie sexuelle. L’adolescent aussi bien fille ou garçon peut faire une bouffée délirante au moment du premier rapport sexuel, l’adulte homme pourra se mettre à délirer et avoir des hallucinations au moment de la grossesse de sa femme ou au moment de son accouchement ; cela se voit de façon moins évidente pour la femme, la psychose puerpérale peut en être la première manifestation ou bien alors un comportement de déni de la grossesse, une incapacité à opérer les transformations de la femme en mère voir d’en distinguer la différence. Elle peut se voir en rivalité avec le bébé dans le phallus pour la mère qu’elle croit être et tuer son bébé, Les intervenants sociaux sont souvent confrontés aux difficultés des jeunes mères psychotiques surtout quand elles se trouvent abandonnées sans l’appui d’un homme ou d’un milieu familial rassurant mettant en place des suppléances.
Toutes sortes de délires peuvent évoluer à bas bruits et se déclarer à la ménopause.
Si on s’éprouve comme objet de l’Autre plus rien n’est possible
Une jeune femme de mes patientes, très intelligente et cultivée, ayant sa maîtrise en lettres classiques et préparant son doctorat donne un aperçu de ces types de propos typiquement psychotiques, difficiles à concevoir malgré leurs précisions et leurs vérités. Ce qu’elle dit d’elle même est très éclairant : « elle répond à des ordres, répond au désir de l’autre, c’est l’autre qui commande, elle ne peut résister c’est une injonction, l’autre fait la loi et lui dicte sa conduite, et cet autre ne sait pas ce qu’il veut et elle se sent sans limite, elle n’a pas de lieu non plus, c’est une SDF clinique, elle est l’objet de l’autre, je l’aime parce qu’il m’aime « . Elle avoue et constate qu’elle ne sait pas ce que c’est qu’aimer ». Cela vient de l’autre qui l’exprime « je t’aime parce que tu m’aimes », c’est une prise de possession contre laquelle elle peut très vite répondre par des violences et de l’agressivité. « Je m’identifie à tout » dit-elle, « Je ne sais pas ce que j’aime, ce que je déteste, je défends plusieurs avis antagonistes,je passe de l’amour à la haine, je suis à la fois ouverte sur le monde et à d’autres moments j’ai peur que les gens utilisent les informations que je donne sur moi pour me blesser ; quand je suis dans une relation amoureuse je me stabilise et puis je m’enfuis pour aller avec un autre qui me sollicite puis je me bats car il me bouffe ».
C’est une altérité qui marque une adhérence et non pas une coupure ; se sent vide sans existence, sans repère sans limite, s’en remet à l’autre entièrement de ce fait se sent éparpillée, rien n’unit ensemble son corps, est dans l’errance aussi bien dans ses sensations corporelles que dans des lieux où elle se trouve car ils ne font pour elle ni maison, ni borne ni ancre.
Il lui arrive d’errer la nuit sans but, sent qu’elle le veuille vraiment, elle se sent aspirée.
Elle sent bizarrement son corps parfois, une fois s’est touchée la joue, c’est une partie de son visage qu’elle a senti se détacher et adhérer à son doigt. Elle est dans ce qu’on appelle la dissociation corporelle.
Par une sorte de bizarrerie du destin, un sujet de thèse sur le multiculturalisme et l’identité nationale lui a été proposé. Echec complet. Elle s’est alors identifiée aux mots qui lui ont été dit sans plus rien savoir de leur signification. Elle en fit un délire de persécution.
L’Autre pour elle est effectivement la mère totale, absolue, la possédant, je ne vais pas développer cela en relatant encore ses propos car il nous faut avancer mais c’est exactement ce dont elle rend compte dans ses propos. Cette sorte d’amour fusionnel, comme elle le décrit tue littéralement le sujet et peut alors se traduire par un déchaînement de violence, il n’est pas rare de voir les faits divers des médias en rendre compte dans des structures mentales similaires. Cela, soit dit en passant, pose le problème de la criminalisation des actes imputables à la pathologie mentale au nom de la sacralisation de la notion de victime.
Cette impossibilité à dialectiser ce qu’il en est du discours peut se rencontrer différemment que dans un discours incompréhensible mais au contraire dans un discours qui semble au premier abord clair, intelligent mais qui très rapidement pose question, ce ne sont pas des concepts ni des idées qui sont à l’oeuvre mais des signes, des signes qui s’imposent au sujet, chargés de significations qui le concernent lui, significations connues de tous, univoques, compréhensibles par tous donc ne pouvant être contestés, une connivence parfaite est supposée entre lui et les autres. C’est comme ça ; la moindre opposition sera jugée comme une insulte une malveillance, un propos contre, une persécution, la contradiction sera éprouvée comme contraire à la signification du langage pour le sujet qui énonce un discours qui veut que le discours de l’un soit exactement dans le droit fil du discours de l’autre. C’est un discours où les différents registres auxquels nous avons affaire, à savoir l’imaginaire, le réel et le symbolique avec lesquels, vous avez été familiarisés dans des exposés antérieurs, sont exactement identiques, sur le même plan, ils ne laissent aucun reste du fait de leur confusion, ce fameux reste impossible à formuler et qui permet justement que ce qui est de l’ordre de l’hypothèse puisse se créer et se développer. C’est ce qu’on appelle l’objet a, dans notre jargon, objet qui est cause du désir car par essence informulable et inatteignable. Si cet objet a fait corps avec le discours, il ne renvoie à aucune transposition instaurant l’ordre du désir.
C’est le discours qui vous met le plus dans l’embarras parce qu’il vous mettra en contradiction même avec votre mission qui est d’être essentiellement au service de l’autre et qui vous mettra dans tous les défauts, dans tous les manquements à ce service, car vous, vous êtes dans la division, dans les impasses, dans les limites ordonnées par la simple constatation que vous n’êtes ni le bon Dieu ni le distributeur automatiques de tous les bienfaits ni de toutes les difficultés, que vous travaillez avec les moyens qui vous sont donnés, moyens ordonnés, limités par la castration qui gèrent tout un chacun, les institutions, les lois, les gouvernements hors ces dictatures qui sont dévastatrices quand elles savent et ordonnent ce qui est le bien indiscutable et valable pour tous et qui se terminent généralement dans un bain de sang. A vouloir le bien de l’autre on ne fait que le tuer dans son invention et sa subjectivité et pourtant, paradoxalement vous êtes dans cette injonction et il vous faut la moduler entre exigences et possibilités, avec le principe de réalité. Principe de réalité pas toujours aidé non plus par le désir des tutelles dont vous dépendez et qui sont eux-mêmes dans les mêmes divisions.
Se garder donc de faire le bien, de l’idéologie qui a tendance à se dégager dans nos discours « bien pensants » qui serait que la moindre tension, la moindre frustration serait une faute sociale. Les limites que nous imposent le principe de réalité et le principe même de la vie sociale organisent de façon structurale barrages, frustrations, exclusions au sens de ce qui non pas est hors du champ de la loi mais de ce qui est hors du champ de notre humanité, hors désir.
Mais le psychotique paranoïaque, quérulent, revendiquant, persécuté non seulement ne vous pardonnera pas vos doutes et vos divisions mais encore les exploitera pour accroître au maximum votre malaise et vous mettre en porte à faux avec vos objectifs, aucun argument de votre part ne sera recevable de la part de quelqu’un qui ne conçoit ni dialectique ni transposition ni aménagement et qui par-dessus le marché ne trouvera pas son compte même si vous accédez à sa demande, ce que vous avez comme possibilité de satisfaction de la demande paraîtra pour lui piège et offense. Je me souviens par exemple d’un sujet psychotique paranoïaque refusant d’un seul coup toutes les aides financières qu’avec beaucoup de mal les services sociaux avaient pu obtenir pour lui car les lettres AAH avaient prises pour lui la signification à la hache et qu’il allait être découpé en morceaux.
Je suppose que dans le travail avec le SAS vous débattez de ce genre d’embarras de façon peut-être moins caricatural mais non moins exemplaire.
Si ce sujet se sent persécuté, il vous persécute tout autant et vous harcèle, peut faire le siège du local peut littéralement vous envahir et remplir tout l’espace, les états maniaques peuvent en être le prototype, agitation, logorrhée, invectives, menaces . Pour faire limite à ses actions le recours à la police peut être la seule porte de sortie possible malgré la répugnance à utiliser ce moyen qui semble être un échec relationnel majeur. Mais il faut savoir que seule la loi dans sa représentation de force peut effectivement avoir raison de circonstances majeures. Bien sur il est envisagé là le cas extrême ou aucune autre limite peut-être opposée à quelqu’un qui justement ne connaît aucune limite.
Pour ce qu’il en est du mode de relation organisée par le psychotique est la redoutable érotomanie, cette état morbide peut aussi se voir chez le névrosé et relève de l’état passionnel très difficile à cerner comme relevant de la psychose car très prés de la normalité avec le déroulement des différentes phases du dépit amoureux pouvant conduire à la violence la plus extrême.
L’érotomanie faisant partie des délires psychotiques qualifiés de passionnels par Gaëtan Gatian de Clérambault se présente avec une certaine fixité dans ses étapes et il n’est pas étonnant de la rencontrer chez le psychotique persuadé d’être la proie d’un autre ou bien d’être celui qui gère l’univers de façon messianique ou qui y est soumis, ce qui revient à peu prés au même.
L’érotomanie, telle que la décrit de Clérambault a pour le point de départ que cela vient de l’autre, c’est l’autre qui d’une façon ou d’une autre a fait savoir qu’il était amoureux, comme un peu l’exprimait cette patiente dont j’ai rapporté les propos. C’est le postulat fondamental.
Cela vient de l’autre, d’un autre qui a une position sociale élevé, ou un ascendant certain sur les autres.
Cet autre a un eu un coup de foudre avec une attitude sans équivoque ou alors une attitude paradoxale qui veut qu’il cache son jeu mais dans un cas comme dans l’autre tout le monde est au courant et tout le monde est de connivence. Et même cet autre peut aimer tout en paraissant haïr. Et de façon paradoxale plus cet autre donnera des signes de protestation ou de dérobade plus se renforcera la conviction.
Une collaboration universelle est assurée, et si on recherche bien cette histoire en fait dure depuis longtemps car des faits anciens, s’étant déroulés avant même l’apparition de cet autre se rapportaient à des faits actuels relevant de l’amour que lui porte cet autre, Cela révèle combien il est difficile d’échapper à la conviction de l’érotomaniaque. Et c’est l’orgueil selon de Clérembault qui semble le mener, orgueil plus redoutable que des fantasmes érotiques, il est le plus souvent parfaitement désexualisé ; dans l’enseignement de Lacan il apparaît comme venant de . Ce qui distingue la morbidité psychotique est là aussi l’impossible dialectisation de l’affaire en absence, dans sa forme pure, d’hallucination et s’accompagner d’une force persuasive qui impose une compréhension trompeuse. Dés que l’on se met à trop bien comprendre il faut commencer à se méfier.
L’érotomanie n’est un type de transfert qui serait l’apanage du psychotique mais la cristallisation de cette conviction d’être cet objet de l’autre qui ne permet aucune césure, le psychotique, hors cette entité morbide qui peut exister bien plus souvent que l’on ne pense, dans son transfert recherche plutôt un lieu qui lui sert d’abri, ce lieu soit est une personne soit une institution dont il sait qu’il n’a rien à craindre car il pourra en partir quand il le veut, y revenir à son gré, un lieu où on lui fichera la paix sans exiger de lui plus qu’il ne peut donner et où ses démons pourront s’apaiser. Ne rien lui vouloir, le laisser libre d’aller et de venir peut tout à fait aboutir à l’effet protecteur recherché.
Mais ce qui est à l’oeuvre et qui signe la cause de l’acharnement de l’érotomaniaque est qu’il est persuadé d’avoir ainsi un savoir sur l’autre auquel il articule sa propre existence un savoir sur l’autre et de ce qu’il en est de lui-même et qui lui donnerait une place possible auprés de cet autre. Ce qui ordonne donc un maniement très délicat de la situation, faire état de son impuissance sans avoir l’air de contrecarrer peut alors être très sédatif et désamorcer la violence contenue dans l’appel de l’érotomanie, savoir ne rien faire donne parfois plus de résultats que de se croire obligé de faire. Au besoin confier l’érotomane à une autre équipe est tout à fait salutaire. Une conviction ne doit pas en faire surgir une autre ; je rappelle que la grande difficultés des rapports avec les autres quels qu’ils soient est de désamorcer les rapports spéculaires.
A suivre le droit fil d’une logique de l’objet qui est de structure hors d’une symbolisation possible, qui est énigmatique et inconcevable et qui par sa perte irréversible – prix à payer pour l’organisation d’une structure sociale – est le levier, le moteur de tout désir, de toute mise en place d’hypothèses et de constructions sensées faire lien social par la discussion l’adhésion, la solidarité , bâtir les lois de la cité régler les rapports entre les sexes , régler la répartition des pouvoirs, ordonner ce qu’il en est du religieux, à suivre une logique de l’objet tel que nous le commande l’organisation mentale du psychotique nous sommes mis en demeure d’avoir à contempler ce qui échappe à nos repères et de plus d‘y porter remède, de façon d’autant plus difficile que de façon la plus sévère c’est l’horreur du fait même de l’existence qui se dévoile.
Comment cela se présente-t-il ?
Ce qui est le plus représentatif de cette horreur à exister en tant qu’objet de rebut qui est l’autre face de l’organisation sociale, qui ce qui doit être enfoui pour la survie d’un groupe, c’est le sujet psychosé mélancolique. Il n’est pas lui dans la perte de l’objet qui constitue l’accès au désir, dans cette stase qui est le propre de la dépression, il est lui-même cet objet dans la douleur d’exister , amour et haine de la vie dans le même mouvement, il présentera ce qui est l’aboutissement et l’autre face de la vie qui est la mort, il appellera de ce fait, de tous ses voeux la mort non seulement pour lui-même mais pour les autres, il se dira le grand coupable de l’univers, le déchet, l’ordure. Il n’a plus ce minimum d’amour de soi qui aide à survivre dans les moments les plus difficiles de la vie de tout un chacun et qui est vivace aussi chez le psychotique avant qu’il ne lui tombe dessus l’évidence de ce dont il est porteur à savoir l’objet dont on doit être séparé pour accéder aux règles du langage et du social comme il en a été question au début de cet exposé.
Il ne vous a pas échappé que le clochard SDF plein de plaies de toutes sortes au regard égaré absent de son corps et à la parole impossible, inaccessible à l’autre et dont l’accès à lui même est également verrouillé, complètement hors de tout circuit, ressemble étrangement à cette folie qu’est la mélancolie au stade extrême de son développement là où elle se reconnaît dans l’incurie, la prostration ,la perte des repères vitaux, du temps , des rythmes et dans l’incapacité également de se donner cette mort qu’il appelle de touts ses voeux tellement il présentifie la mort dans son corps lui même , dans sa façon de l’exposer à l’autre.
Il devient alors souvent très difficile de faire la part de ce qui revient à la perte de repères, des rythmes, des réflexes vitaux, des liens parentaux, professionnels institutionnels des grands dépressifs ou névrosés désocialisées dont la dégradation est due à la perte d’emploi, de domicile, associée à la perte ou à l’absence de liens affectifs, familiaux ou conjugaux, et de ce qui revient à proprement parlé à l’errance et à la pathologie de la structure de la psychose.
Voilà ce tour d’horizon des psychoses qui n’a rien d’exhaustif, qui est un condensé je pense de ce qui est débattu à partir de certains dossiers particulièrement difficiles dans le cadre du Service Appui Santé, je suppose avoir dégagé un certains nombre de points de façon plus générale des questions débattues et préparées au cas par cas au fur et à mesure de vos missions et de vos travaux, je vous remercie.